Les Dossiers du G.H.M.
La face sud-ouest du Täschhorn, haut lieu du 'grand alpinisme'
Lieu:
Date: 2020-07-06
Confidentiel: Non
Objet :
Si l'alpinisme voit modes et périodes s'égrener invariablement, certaines ascensions parviennent à préserver leur aura par-delà ces cycles, leur image brûlant intact dans l'inconscient collectif de tout alpiniste. En ce sens, si de nos jours tout un chacun peut se remémorer aisément l'exceptionnelle envolée solitaire de Paul Preuss au Campanile Basso de 1911, moins cependant se souviennent de la première épique de la face sud-ouest du Täschhorn (4491m), réalisée cinq années auparavant. Celle-ci présentait alors un casting d'exception, réunissant les deux cordées les plus en vue de son époque : d'un côté la « comète alpine » faite de l'Irlandais Valentine John Eustace Ryan flanqué des guides de Saint-Nicolas Franz et Josef Lochmatter ; de l'autre celle du Britannique Geoffrey Whintrop-Young et de Josef Knubel, lui aussi guide à Saint-Nicolas. Dans « Nouvelles escalades dans les Alpes » (1939), Young rappelait en introduction du chapitre dédié à l'épique première : « L'exploit de Franz Lochmatter fut le plus grand dont j'aie jamais été témoin en montagne et, après toutes les années qui se sont écoulées depuis lors, je peux toujours le dire le plus grand que je sois capable d'imaginer. Il est juste que le souvenir en soit conservé ; car je ne suppose pas que dans sa lutte victorieuse contre les difficultés de la nature, dans sa résistance aux effets du froid et de la fatigue comme à la contagion du découragement et de la peur, cet exploit ait été égalé sur n'importe quel théâtre d'aventure ou de bataille ». Au contraire de la voie Preuss précitée ou d'autres rares itinéraires du même acabit, ce monument paroxysmique là de l'histoire alpine n'attirerait pas foule de répétiteurs par la suite. Voire de nos jours ce versant de la montagne est-il quasiment tombé à l'abandon! Les statistiques à ce jour sont éloquentes : une ascension par décennie et une seule répétition avérée du passage-clé de 1906 ! Focus sur l'histoire d'une face pas comme les autres, au coeur des Alpes...
Note :

1/ L'épopée du 11 août 1906
L'été 1906 avait débuté de façon brillante pour les futurs ouvreurs de la face sud-ouest. En préliminaire, la « comète alpine » réalisait le 20 Juin la première de l'arête Est du Plan (D+) dans les aiguilles de Chamonix, une voie dont le guide de Chamonix Nicolas Potard (alpiniste discret et grimpeur de 8c) me dit un jour : « Ce n'est que du IV+ sur le topo mais l'escalade est en fait continue et physique pour un itinéraire de grande classe ! ». Au mois de Juillet, le même trio réalise la première de la Cresta di San Caterina au Nordend (4609m), course cotée TD au sujet de laquelle rien ne fut publié à l'époque - pas même lors de la seconde le 15 Août 1925 conduite par le même Franz Lochmatter! Erhard Lorétan, lors de sa chevauchée exceptionnelle de l'hiver 1986 en compagnie d'André Georges disait à son propos : « Cette seule journée vaut une hivernale de grande envergure. En dépit de la tourmente qui nous aveuglait, des doigts qui gelaient sur les prises, on a vécu là la plus belle étape de notre périple. La difficulté technique, le mauvais temps, notre isolement, les treize sommets qu'on avait dans les pattes, l'altitude du Nordend (4609m), tout cela contribuait à une ambiance du diable ».
Suite à ce brillant début de saison, le 11 Août 1906, Franz Lochmatter réalise le plus grand exploit de sa carrière, entré dans la légende à travers ce dialogue « éloquent dans sa simplicité » (dixit René Dittert) au sommet du Täschhorn entre le co-concepteur du projet (Young) et le maître d'oeuvre du passage-clé :
« - Mon cher Frantz, vous ne ferez jamais rien de plus dur.
- Certes on ne pourrait guère faire mieux ».
D'après la recension des ascensions du guide du CAS [NDLR : édition de 1952 dirigée par Marcel Kurz, reprise en moins détaillée dans celle de 1991 par Maurice Brandt], après un été très sec et chaud la face était presque entièrement rocheuse et les chutes de pierres fréquentes durant l'ascension. D'après le récit de Young, un faux départ la veille à cause de la météo vit cette journée vraisemblablement verglacer en partie la paroi qu'ils remonteraient le lendemain - n'évoquant sinon aucunes chutes de pierres dans son récit, y compris dans un commentaire de 1936 concernant la seconde ascension de la face (« Alpine Journal » 48, page 186).
Partis sur une idée de Young et Ryan, ce dernier avait envisagé dès le départ la possibilité d'emprunter une des deux échappatoires latérales repérées au pied du triangle sommital. Au pied de la face, le groupe choisit d'abord unanimement d'attaquer la face à gauche de la « grande cheminée (centrale) » ou « grand couloir » [NDLR : ce dernier futur passage de la voie Vanis/Chval dans sa moitié basse], alors en glace, ce par la « cote rocheuse » caractéristique qui le borde [NDLR : il s'agit du pilier issu du point coté 3622m, altitude donnée dans le guide du CAS de 1991 et auparavant estimée à 3593m dans l'édition de 1952. Ce point de 3622m a disparu de la carte nationale depuis 1995 ]. C'est parti ! Selon leurs pratiques habituelles, les membres du groupe partent décordés, découvrant rapidement les premières difficultés dans ce premier « contrefort escarpé ». Parvenu au sommet de celui-ci vers 7h30 survient alors ce qui sera l'unique pause sur la seule vire commode de toute l'ascension! Les protagonistes se regroupent alors en deux cordées : Young avec Josef Knubel en arrière, Ryan et les deux Lochmatter devant, Josef menant à un train d'enfer, galvanisé par Ryan! A mi-hauteur environ de la face le terrain commence à se redresser : le groupe commence naturellement à se déporter en traversée ascendante vers la droite dans la direction de la « cheminée centrale », suivant des vires garnies de neige ou de glace. Au vu des difficultés désormais constantes le quintet se regroupe alors en une seule grappe humaine. Plus haut, alors que Young sort péniblement d'un ressaut raide, demandant à Franz Lochmatter de l'aide pour se rétablir celui-ci lui rétorque : « Faîtes comme vous pourrez ; ici on ne peut plus s'entraider ! ». Le ton est définitivement donné : l'assurance est précaire, l'engagement maximum. Sur ces entrefaites, la neige fait son apparition...
Ayant pris pied dans le « grand couloir » d'échappatoire au Teufelsgrat, réuni sur une « mince vire délitée » de sa rive droite (dans le sens de la descente), le groupe considère alors ses options de progression. Une sortie directe par le présent couloir, s'évasant plus haut en un « amphithéâtre de parois surplombantes », s'avère impossible. Instinctivement Josef Lochmatter descend sans plus attendre dans le couloir, visant à continuer de suivre leur vire qui renaît en contrebas sur sa rive opposée, ce avec l'espoir de gagner la « seconde cheminée » de sortie sur le Mischabelgrat [NDLR : entendre par là le grand dièdre du triangle sommital, pas l'échappatoire en contrebas sortant sur le même Mischabelgrat]. Young suggère tout de même une alternative de sortie directe au Teufelsgrat - cette dernière proposition que Franz Lochmatter écarte cependant d'un geste de la main. Alors que son frère essaie de poursuivre sa traversée sur la « lisse coulée de dalles », Franz tout en l'observant siffle « dans ses dents une alerte petite chanson française, le seul signe de nervosité que je lui ai jamais vu manifester » note Young. Alors que son frère se retrouve bloqué dans la traversée délicate sur l'autre rive, à l'écho d'un « ça n'ira pas ! » Franz rétorque alors « Mais il faut bien que ça aille ! », prenant illico la tête afin de franchir l'obstacle. Ce dernier négocié par Franz, le groupe passe alors, assuré de façon précaire sur un mauvais becquet en sortie. Young accuse les premiers signes de fatigue. Knubel derrière lui, qui porte déjà « son assortiment de sacs et de piolets », s'acquitte du passage « d'une façon magnifique »!
Le groupe poursuit alors sa progression par une nouvelle « série de traversées ascendantes » dans la face avant de prendre pied dans la « deuxième cheminée » qui l'entaille verticalement : il s'agit là de la continuité inférieure de l'immense dièdre central du triangle sommital...Young, désormais fatigué, se voit aidé à deux ou trois reprises par Franz Lochmatter, revenu en troisième du trio de tête pour se reposer. C'est alors que le groupe bute net sous un surplomb, au sommet d'une section où le dièdre est particulièrement formé, au coeur même de l'édifice sommital. Surplombé de toute part, le piège s'est refermé. La situation jaugée dans des rafales de neige, Franz Lochmatter se lance alors avec la soixante de mètres de corde libérée par le groupe pour son leader, assuré de façon précaire par son frère resté sur une bosse rocheuse lovée dans la niche, une dizaine de mètres en contrebas du surplomb. Alea jacta est ! Young signe alors dans son récit une description sans pareil de ce moment d'anthologie de l'histoire de l'alpinisme...
Lochmatter force avec une méticulosité infinie le passage clé de l'ascension, un surplomb qu'il faut négocier par un crochet en traversée en dalle à sa droite, ce en une suite « d'imperceptibles progrès », sans pitons, sous la neige... « Malgré le verglas et la neige qui tombe, ce guide force le passage vers la cime avec un brio qui ne sera probablement jamais égalé » considère André Roch quatre décennies plus tard dans son livre « Carnet de Courses ». Young peut mieux visualiser le spectacle que ses compagnons, lui qui est resté cantonné sur une dalle en contrebas de la bosse où se loge Josef Lochmatter, flanqué de Ryan et Knubel nichés juste en dessous de lui...Young sera ainsi l'unique témoin d'une glissade du leader survenue juste au rétablissement du surplomb, récupérée in extremis sur les mains, les jambes pendantes dans le vide : il était moins une...Sorti définitivement de la longueur, Lochmatter fait alors le point : aucune sortie en vue au dessus, impossible pour lui de redescendre et il ne peut assurer ses compagnons que d'une main. La réunion de crise commence ! Dans des échanges rendus ardus par le surplomb et des éléments climatiques défavorables, Franz en vient dans un premier temps à suggérer à Knubel de le rejoindre pour aller chercher une caravane de secours, tandis que le groupe resterait en plan à survivre comme faire se pourra. Young propose alors à Ryan de rejoindre Franz, tandis que lui, Knubel et Josef pourraient tenter de redescendre la face. Après que la réunion ne dégénère en crise passagère, l'évidence s'impose : il faut passer l'obstacle si l'on veut s'en sortir. Une fois n'est pas coutume, le salut passe par le haut. Alors que Josef s'escrime dans le passage, Young répond à Ryan, qui lui pose la question de leur probabilité de s'en sortir, qu'il estime celle-ci à une chance sur cinq...
Josef est parvenu à rejoindre son frère ; de la sorte, à eux deux ils pourront hisser leurs compagnons. Il faudra une heure pour tracter Ryan de la sorte, lui dont les forces l'ont lâché après six mètres de montée avant de perdre connaissance alors qu'il pendulait en plein vide, la poitrine ayant suffoqué sous l'étreinte de la corde....Knubel et Young demeurent impuissants et prostrés à la vue du spectacle du corps de leur compagnon tournoyant sous le surplomb...Les deux Lochmatter au dessus abattent alors un travail de titan, tractant chacun d'une main, centimètre après centimètre, la corde retenant le corps inerte, l'autre main ancrée à une aspérité pour se maintenir...Après que Ryan parvenu au « relais » ait repris connaissance, c'est à présent au tour de Young de s'y coller : à l'instar de son prédécesseur, après quelques mètres gravis aux limites de ses capacités résiduelles, c'est le premier de trois pendules qui viennent le laisser impuissant, suspendu en plein vide, bloqué sous la voûte du surplomb. Plus lourd que Ryan, les deux Lochmatter lui font savoir qu'ils ne pourront pas le hisser ! Young trouve alors le moyen de créer un mouvement de balancier avec ses jambes ou son piolet, permettant aux leaders de gagner quelques nouveaux centimètres à chaque relâchements de la corde générés par l'alternance du balancement. Young rapporte dans son récit qu'il dut se servir à plusieurs reprises de ses dents comme crochets afin de pouvoir se reposer les bras, permettant par le truchement de ces quelques lignes cauchemardesque l'intrusion d'un style narratif rarement observé dans la littérature alpine, entre folie et comique! Ayant finalement rejoint ses compagnons en rampant, c'est au tour de Knubel, lesté comme un mulet en queue de peloton avec trois piolets et deux sacs de franchir en dernier la difficulté, ce dont il s'acquittera sans même se faire hisser !
Il n'est pas encore 16h quand Franz Lochmatter reprend la tête de la caravane, « se fraya[nt] une route sinueuse et montante, sans arrêt ni fausse manoeuvre, à travers le soulèvement de dalles géantes » dixit Young, forçant les dernière difficultés jusqu'à trouver la sortie salvatrice à droite sur l'arête du Mischabelgrat via « un long gradin glacé » . Le groupe est finalement réuni à près de 18h au sommet, marquant une pause plus qu'appréciée, 10h30 après la dernière...Le timing de l'ascension est éloquent : sur les 15h45 qu'aura duré l'ascension de la Täschalp au sommet, d'après l'article paru dans l' « Alpine Journal » 23, il aura fallu 9h à la caravane pour franchir les trois cents derniers mètres ! Le quintet entame alors la descente par la voie normale du glacier de Ki(e)n, ce jusqu'à gagner le village de Randa à 23h où le groupe se gratifie d' « un repas authentique » . Laissant leurs guides tout à leur repos, Ryan et Young repartent étonnamment de plus belle à pied jusqu'à Zermatt, gagnant le village à 3h15 où ils dînent à nouveau, 25h30 après leur départ de la Täschalp!
En introduction et en conclusion du chapitre dédié de son livre précité, Young écrivit que ses impressions du Täschhorn demeuraient toujours aussi intensément et profondément imprimées en lui, autant voir davantage que celles vécues durant la première guerre mondiale. Cette dernière, qui le vit amputé d'une de ses jambes en 1917 suite à une explosion, l'amènerait malgré cela à continuer la pratique de l'alpinisme par la suite avec une jambe artificielle, escaladant encore de la sorte bien des sommets respectables...En 1936 Young rencontrerait l'un des seconds ascensionnistes de la face en la personne d'Alexander Taugwalder, puis une décennie plus tard un certain Georges de Rham, notamment lors d'une allocution de ce dernier donnée au Groupe de Haute Montagne de Lausanne (« Souvenirs de Georges de Rham », page 18).
2/ Première - et unique ? - répétition du passage clé : 1943 !
Le passage clé de la face Sud du Täschhorn ne serait a priori repris qu'une seule et unique fois lors de la troisième ascension de la face survenue en 1943, soit à 3 jours près 37 ans après les pionniers ! Le groupe cet été là est formé d'André Roch, pilier incontournable de l'alpinisme Suisse, Georges De Rham (futur mathématicien de renommée internationale), Alfred Tissières (futur pilier de la biologie moléculaire au niveau européen) et Gabriel Chevalley, alors étudiant en médecine comme Tissières [NDLR: Tissières et Chevalley qui réaliseront en 1950 la première ascension de l'Abi Gamin, 7355m, par son arête nord-est, ce en compagnie de leur compatriote René Dittert (le monde est petit, voir partie suivante!) et de l'Anglais Kenneth Berrill]. C'est De Rham qui s'offrira la répétition du passage clé de 1906. Au chapitre précédent celui du Täschhorn dans son livre « Mon Carnet de courses », André Roch note à propos de celui-ci : « Je ne connais pas de grimpeur aussi adroit que lui ». Six jours auparavant, la même équipe s'était en effet déjà octroyée la première répétition de l'arête nord de la Dent Blanche par la voie Richard/Georges : De Rham avait alors négocié en tête la section clé de la voie. De nos jours et plus de vingt ans après sa mort survenue en 1990, Claude Rémy insiste également sur l'excellence de cet ancien, moins connu de nos jours, spécialiste notamment du Miroir d'Argentine auquel il dédia le premier une monographie en 1944.
Ce 8 août 1943, la caravane profiterait généralement d'un beau temps froid entretenu par la bise (d'après le guide du CAS), cependant que d'après les récits combinés de Roch et de De Rham, la face demeurerait plutôt calfeutrée dans le brouillard, ce qui la préserverait du dégel et des chutes de pierres. L'itinéraire choisi consisterait en une variante de celui de 1906, la caravane traversant plus haut que ses prédécesseurs pour rejoindre le triangle sommital, ce via l'épaule neigeuse caractéristique coiffant le pilier issu du point coté 3622m. C'est sans doute le choix de cet itinéraire associé aux brumes précitées qui, comparé aux autres cordées, assureraient à la caravane une exposition minimale aux risques objectifs (chute de deux pierres et deux glaçons en tout et pour tout!).
L'équipe franchit la rimaye à 5h15. Roch mène la course avec Tissières en second, Chevalley et De Rham suivant en cordée autonome derrière. Après 4h d'efforts, alors qu'ils viennent buter sous la sortie surplombante de la « cote rocheuse », les deux cordées s'unissent. Roch franchit alors cet obstacle délicat en taillant des marches dans la glace et le groupe est réuni sans encombres à 10h sur l'épaule neigeuse coiffant le sommet du pilier. Après avoir passé le « grand couloir » puis traversé en ascendance à droite plusieurs cotes parfois délicates, parvenu juste sous le passage-clé de 1906, Roch doit alors céder sa place : celui-ci est trop entamé après les longueurs difficiles déjà franchies en contrebas, les mains prises de crampes. Il se consolera après coup de n'avoir pu terminer la course en tête, s'apercevant avoir suivi sans le savoir l'exemple de leurs prédécesseurs, qui eux aussi avaient fini par ne plus former qu'une seule cordée et dû changer de leader...
Appelé par Roch pour passer en tête, après étude du passage « comme un problème de mathématiques » dixit Roch, il faudra 2h et 4 pitons à De Rham pour répéter la longueur clé. Parvenu sous le surplomb, De Rham doit d'abord casser la glace de grosses stalactites au marteau, puis placer trois pitons peu sûrs avant d'entamer la délicate traversée de sortie par la droite, moyennant alors un quasi grand écart et l'enchaînement de placements subtils. Les seconds laisseront un piton en place « intentionnellement pour les caravanes futures » dixit Roch. A ce propos, Charles Gos rapportait-il dans un article de Young paru en 1944 dans l'« Alpine Journal » : « Roch l'a trouvé très dur et surtout très dangereux. Ils ont planté quatre pitons au terrible passage où Franz a passé devant, et ils en ont laissé un. J'ai dit a Roch, "G.W.Y. sera furieux .. " Roch m'a répondu : "C'est possible ; en tout cas moi, je ne remonte pas l'ôter". Roch ne comprend pas comment Franz a pu franchir le passage avec ses souliers à clous et sans pitons . . . Évidemment que Franz était Franz! ». Le piton est-il toujours en place, une cordée l'a t-elle seulement retouché depuis ?! Dans l'article de 1944 qu'il rédige pour « l'Alpine Journal », De Rham constatera simplement : « Dans la partie supérieure, à l' endroit où il fallut casser les glaçons, nous croyons avoir reconnu le passage décrit par G. W. Young, passage qui fut alors franchi en tête par Franz Lochmatter, en souliers à clous, sans pitons, pendant qu'il neigeait. Même avec les ressources de la technique moderne, pitons, mousquetons et semelles de caoutchouc, et bien que les rochers fussent secs, j'avoue qu'il m'a paru d'une très grande difficulté ». A ce jour la voie demeure cotée TD+ et le passage-clé « V limite supérieure » en rocher.
Au final 12h20 d'ascension auront été nécessaires au quatuor pour sortir de la face sur le Mischabelgrat. Sur insistance de Roch, au vu de leur horaire relativement tardif et de la distance restante alors inconnue pour rallier le sommet, après une pause copieuse le groupe entamerait directement la descente par le Mischabelgrat. Reprenant quelques jours plus tard l'ascension de la montagne par cette même voie, De Rham et Tissières s'apercevraient qu'ils étaient en fait sortis à 50m sous le sommet ! Au sortir sur l'arête, Roch avait affirmé : « On peut trouver plus difficile, mais on ne trouvera pas plus dégoûtant ! » tout en concluant ensuite dans « Mon carnet de courses » :« Le souvenir de ces longues heures passées sur le Täschhorn, heures de tension d'esprit, d'activité intense, suivies de moments d'attente interminable, me laissent des sentiments de reconnaissance envers la destinée qui ne nous fut pas hostile, de grande admiration pour nos prédécesseurs et de profond respect pour cette terrible face».
3/ 1935 - 1943 : autre voie, même engagement !
Le 28 juin 1935, Alexander Taugwalder et Karl Biner empochaient la seconde ascension de la face en un remarquable assaut de 8h, ce malgré des conditions guère optimales (neige fraîche sur rocher pourri et chutes de pierres, qui touchèrent notamment Taugwalder). Tristement, aucun récit de l'ascension des deux guides de Zermatt n'existe à ce jour, excepté un court compte-rendu dans l' « American Alpine Journal » ainsi qu'un à peine plus fourni dans l' « Alpine Journal » 47 (1935). D'après André Roch, la cordée de 1935 « désirait explorer la face pour y mener des voyageurs ». Verdict d'après De Rham (in « Alpes » 1945) : « « Jamais on n'y mènera des clients » ont déclaré les guides de Zermatt » ! D'après le petit-neveu de Karl Biner, Hermann, historien et guide de haute montagne à Zermatt, à cette époque les guides qui grimpaient à haut niveau le faisaient la plupart du temps avec des clients, ce pour quoi chercher une meilleure voie à travers la face faisait sens dans cette optique.
A l'instar de la cordée précédente, la sortie par le haut s'imposerait là encore progressivement comme une nécessité. Taugwalder et Biner savaient que ceux de 1906 avaient préféré éviter le pilier de gauche et que la voie de 1906 était trop difficile, ce pourquoi ils choisirent « logiquement » une option plus à droite. Voire, celle-ci leur parut-elle même constituer « la seule option » valable in situ - ce qui devait s'avérer comme tel par la suite, étant demeurée l'option la plus usitée depuis lors. D'après l' « Alpine Journal 47 », les deux guides avaient d'abord envisagé de sortir sur le Mischabelgrat par une échappatoire en contrebas du triangle sommital, ce avant de se raviser pour terminer l'ascension par ce dernier. Le duo sortit ainsi de la face sur le Mischabelgrat à un point légèrement en contrebas de la voie de 1906 (« Alpine Journal » 48). Dans cette dernière portion, Taugwalder dut franchir un surplomb « extrêmement difficile et dangereux, impossible