La Tribune du G.H.M.

A propos du livre Annapurna 1950 de Christian Greiling

A propos du livre Annapurna 1950 de Christian Greiling, Héliopoles, mai 2022

Enfin, un véritable historien français, Christian Greiling, après une recherche approfondie, donne une analyse appropriée de l'événement exceptionnel que fut l'ascension de l'Annapurna en 1950, restituant les faits réels et mettant en pièces, et mettant fin, espérons-le, à la cabale menée par un quarteron de personnages français au cours des 40 dernières années (dont un écrivain, un éditeur et deux journalistes).

Tout commença en 1981, par un article dans La Montagne et Alpinisme (N° 125, mars 1981). Lucien Devies était décédé six mois plus tôt et le directeur de la rédaction de LMA était un spéléologue, Pierre Minvielle, qui trouva judicieux « par souci d'objectivité » de publier une critique présentant deux avis totalement divergents du livre de Herzog, les grandes aventures de l'Himalaya (Lattès, 1981), l'une favorable d'Henri Voiron et l'autre, le brûlot destructeur d'Yves Ballu qui a servi depuis à transformer l'homme, Herzog, « de Héros à zéro » (Annapurna 1950 p. 72).

Les réactions furent vives. Gérard Herzog fit publier sa réponse pour son frère dans le N°127, p.301, 1982 où il écrivit :
« On trouve dans votre article tout ce que le mot haine peut résumer : intolérance, désir de revanche du petit, esprit de vindicte, racisme social, donneur de leçon qui ironise sur ''une poignée de héros qui prétendent avoir conquis des sommets au demeurant bien pacifiques (Mallory, Irvine, Buhl, Lionel Terray, j'irai cracher sur vos tombes !)''...Cette exhibition de vieille haine inexplicable, contre Maurice Herzog et tous les personnages historiques de l'alpinisme , n'aurait jamais dû paraître, fut-ce au nom de la liberté d'expression, car s'exprimer n'est pas se soulager. » (et Greiling p.224).

Pierre Mazeaud fit lui aussi publier dans le N° 128, 1982, p. 225 un texte où il écrivit : « L'injure et l'agressivité ne grandissent pas leurs auteurs, je dirai même les déconsidèrent quand ces mêmes auteurs traitent de ce qu'ils ne connaissent pas. »

Et ceci n'empêcha pas Pierre Minvielle de féliciter Yves Ballu dans le N° 126 d'avril, p. 249 1981 pour son entrée au ministère de la jeunesse et des sports où il restera 10 ans.

Le mal était fait, « Calomnier, calomnier, il en restera toujours quelque chose » !

Malgré une remise en question argumentée et documentée de Claude Deck en 1997 dans LMA lors de la publication de la nouvelle version « non expurgée » des Carnets du vertige et de la biographie de Gaston Rébuffat de Ballu avec un chapitre sur l'Annapurna particulièrement critique de Herzog et Lucien Devies, publiés par Guérin, la cabale poursuivra allègrement son chemin. Deck écrivait à la fin de son article : « Non, la Fédération française de la montagne n'était pas, à l'époque, avec ses deux bureaux et quatre chaises au bout d'un couloir, le puissant organisme capable de manipulations obscures... »

Non seulement pour ces « complotistes » Herzog était un nationaliste, mais aussi un colonialiste : quelle bêtise quand on apprend de Greiling que Lucien Devies a établi pour la première fois dans une expédition himalayenne une règle (appliquée par Herzog et son équipe) considérant les sherpas comme des partenaires égaux, leur donnant ainsi le même équipement que celui des alpinistes français, vivant et mangeant avec eux ! Herzog aurait également utilisé sa renommée que lui valut cette première comme un tremplin pour sa carrière politique ; il aurait supprimé des textes du livre de Lachenal Les carnets du vertige car préjudiciables à son image, et plus tard, entre autres boules puantes, est même venu le soupçon qu'il n'avait même pas atteint le sommet !

Christian Greiling ne fait pas dans la dentelle : pour lui, toutes les accusations formulées contre Herzog sont des âneries, basées non seulement sur de fausses affirmations, mais aussi sur des mensonges délibérés de la part de ce « quarteron » de complotistes. Il décrit une scène dans le bureau d'édition de Guerin où deux responsables du GHM, dont un ancien président, ont clairement entendu la conversation de Michel Guérin et de Charlie Buffet (actuel rédacteur en chef de Guérin) déclarant qu'ils allaient « détruire Herzog » et « gagner beaucoup d'argent » avec le livre que Guérin commandita à David Roberts (p.45) et qu'il publie en 2000. Tout avait été préparé par pour Roberts, du coup il semble n'avoir jamais ressenti le besoin de vérifier quoi que ce soit auprès de la FFM et du GHM où toutes les archives sur l'expédition à l'Annapurna se trouvent , bien entretenues et facilement accessibles, ainsi que celles de Lucien Devies. Il est tombé dans la plupart des pièges préparés par les complotistes, mais pas celui prétendant qu'il n'ait pas atteint le sommet. En effet, il était convaincu que Lachenal (l'un de ses héros avec Terray) ne pouvait pas avoir menti. Étrangement, après la publication du livre de Roberts, cette « accusation suggérée » a été mise de côté par les complotistes. Si Herzog avait menti, alors Lachenal aussi, donc il ne pouvait plus être vu comme leur « nouvel héros » remplaçant le « sulfureux Herzog », et ils ont oublié cette accusation, certains déclarant qu'ils n'y avaient jamais vraiment cru.

La communauté des alpinistes britanniques n'a jamais pris au sérieux cette cabale. Henry Day, qui a fait la 2e ascension, était convaincu qu'ils avaient atteint le sommet et que la photo prise d'Herzog l'avait été sous l'un des premiers sommets sous la longe crête sommitale comme il le décrira dans un article, Annapurna Anniversaries, publié dans l'Alpine Journal de 2010 p.181-189 et montrant la similitude de la photo d'Herzog au sommet et les siennes (voir la photo attachée à la tribune, et je me souviens qu'il me l'avait dit à Chamonix il y a une dizaine d'années). Henri Sigayret, qui a fait la 2e ascension française, était catégorique quant à leur atteinte du sommet, détaillant ses raisons dans un long article publié sur le site Web du GHM. Et Henri, qui était anarchiste, n'était pas un ami d'Herzog, qui le traita de « soviétique » lors de leur dernière rencontre. Sa parole n'en a que plus de valeur.

Ce livre vaut plus que la peine d'être lu. D'abord parce qu'il restitue l'image bien trop ternie d'Herzog, mais aussi rappelle que la conquête de l'Annapurna fut le dernier grand événement de découverte à égalité avec la conquête des pôles Nord et Sud, et donc un événement non seulement français, mais mondial, comme le montre les 700 conférences organisées dans le monde entier, devant des foules immenses ovationnant les conférenciers (les membres de l'équipe) alors que moins de 40 étaient prévues initialement par la FFM. Herzog a passé un mois et demi aux États-Unis et Lachenal 2 mois en Afrique Noire ! Au Guatemala, la conférence eut lieu en présence du président. C'était la dernière partie inconnue et inexplorée de l'Himalaya, le seul 8000 qui sera escaladé sans expédition de reconnaissance et malgré les graves gelures de Herzog et de Lachenal, il n'y eut aucune victime sur ce qui est devenu le plus meurtrier de tous les 8 000. Ils avaient une volonté sans faille, mais la chance et les dieux étaient aussi avec eux.

J'ajouterai quelques points clés que Greiling met en avant en faveur de l'homme Herzog : « son » livre Annapurna 1er 8000, avec à ce jour quelque 22 millions d'exemplaires vendus, n'était pas à 100 % le sien, de loin. Dicté à son frère Gérard, journaliste de talent qui mit tout en forme, il fut aidé par tous les membres de son équipe qui vinrent le voir souvent durant son long séjour à l'hôpital, notamment Marcel Schatz, Marcel Ichac, le cinéaste, et Lionel Terray : le chapitre sur leur dramatique descente est le texte écrit par Lionel dans un article publié dans la revue Alpinisme (décembre 1950) et qu'il intégrera dans son propre livre, Les conquérants de l'inutile. Francis de Noyelle, l'officier de liaison de l'expédition et futur ambassadeur du Népal, déclara en mars 2014 sur TV Mountain : « Herzog était trop sage, trop intelligent pour écrire le bouquin tout seul. Il l'a montré à tout le monde [...].Il ne l'a pas écrit tout seul. Ichac a tout noté, ses souvenirs font un bon quart du livre. »

Contrairement à ce qu'ont affirmé les « complotistes », les membres de l'équipe qui n'avaient pas le droit d'écrire un livre pendant 5 ans selon les clauses du contrat signé entre la FFM et Arthaud, étaient libres de publier des articles dans la presse et ils l'ont fait à profusion (notez que tous les membres de l'expédition britannique à l'Everest en 1953 avait, eux, cette interdiction. Herzog a abandonné les droits de son livre à la FFM, et ses revenus ont financé 25 ans d'expéditions par la FFM. Herzog s'est occupé de la veuve de Lachenal et de ses deux enfants jusqu'à ce qu'ils soient installés dans la vie ! Le livre de Lachenal Les carnets du vertige (publié en 1956, cinq mois après sa mort) a en fait été écrit entièrement par Gérard Herzog à partir des notes que lui avait données Lachenal. Sur la couverture de l'édition originale, il est clairement écrit : « Texte de Louis Lachenal et Gérard Herzog » et c'est Maurice qui avait demandé à son frère de faire figurer le nom de Lachenal comme auteur. Guérin, lui, « oubliera » de mentionner sur la couverture de son édition « Les carnets retrouvés du conquérant du premier 8000 » de 1996 le nom de Gérard Herzog ! Les deux tiers des revenus seront reversés à la veuve de Lachenal (la vente du livre est un succès avec 750 000 ventes estimées). Un homme égoïste et égocentrique, vraiment ? De plus, Herzog possédait le manuscrit original et le carnet des commentaires de Lachenal et les donna au fils de ce dernier lorsqu'il le lui demanda pour qu'ils soient publiés par Guérin. S'il avait pensé qu'il contenait des informations menaçantes à son sujet comme l'ont dit et écrit les « complotistes », pourquoi aurait-il donné le manuscrit ? « Herzog montré comme un Machiavel, un manipulateur et puis il donne naïvement le texte censé le confondre ? Le simple bon sens dit non !" (Greiling p.33).

Enfin, deux points sur Herzog le politicien :

- le patron des éditions chamoniardes Esope, Jacques Michel, m'a raconté récemment sa première rencontre avec Herzog. C'était à Chamonix, et il était sollicité en tant que publicitaire à participer à une réunion politique locale concernant le nouveau plan de construction immobilier de Chamonix qui allait considérablement modifier la ville, son centre sportif et le bâtiment de l'ENSA. Il y avait environ 40 personnes, toutes de Chamonix et la réunion ne commença qu'après que Maurice eut serré la main de chacun des assistants, les appelant par leur prénom, demandant des nouvelles de leur famille en utilisant également les prénoms de leurs enfants. Cet exploit de mémoire impressionna tellement Jacques Michel qu'il demanda à Maurice comment il pouvait se souvenir si bien de tous ces noms et prénoms. Maurice lui répondit : « mais je les connais tous » ! Quoi qu'on en dise, il était alors comme maire de Chamonix (1968-1977) un véritable homme politique et très accessible.

- Le second, lorsqu'il était ministre des Sports (1958-1966). À ce titre, ses actions firent l'unanimité, y compris dans l'opposition. Pierre Mauroy, futur premier ministre de François Mitterrand dira à propos de Maurice : « il a su nous écouter, nous comprendre et nous aider concrètement. Il devient rapidement un interlocuteur attentif et compréhensif. Un dialogue exceptionnel s'est établi entre lui et nous. Les mêmes qualités de « management humain » dont il avait fait preuve sur l'Annapurna avec son équipe !

Greiling met de côté comme n'ayant rien à voir avec l'Annapurna, le livre vénéneux Un héros paru 3 mois avant la mort de Maurice Herzog (décembre 2012) écrit par Félicité Herzog, la fille de Maurice (issue du mariage avec sa première femme, faisant partie de la riche et aristocratique famille Cossé-Brissac) qui avait une revanche personnelle et psychotique à prendre sur son père car elle était convaincue que son attitude envers son frère bien-aimé avait causé sa schizophrénie et sa mort prématurée à 34 ans. Elle incluait dans son livre le soupçon qu'Herzog et Lachenal n'avaient pas atteint le sommet tirés d'un « roman » (mauvais) écrit par le premier des « complotistes », dans le but de blesser son père le plus gravement possible, sur ce qui fit de lui un héros, la 1ère ascension de l'Annapurna. 10 mois après la mort de Maurice, interrogée à la télévision, elle déclare qu'il s'agit d'une simple « hypothèse romanesque » utile à la structure de son texte, ajoutant que l'expédition « fut un immense exploit » ! et que son livre n'était qu'un roman issu de son imagination (On n'est pas couché, 14 septembre 2013. p.47). On m'a dit depuis qu'elle passa les 3 dernières semaines de la vie de Maurice au chevet de son père.

Certains continueront à détester Maurice, mais espérons qu'un nombre significatif de ceux qui ont cru aux histoires imaginaires des « complotistes » et à leurs mensonges, changeront d'avis après avoir lu le livre de Greiling. Il y a 23 ans au festival de Passy, j'entendis Maurice critiquer le livre de Roberts et aussi son compagnon de cordée « qui ne devait pas ses pieds à la jeunesse française ». Comme la majorité de l'assistance d'une quarantaine de personnes je fus stupéfait de la colère de Maurice, ne connaissant rien à la polémique qui avait commencée 19 ans plus tôt. Du coup, j'ai lu le livre de Roberts Annapurna une affaire de cordée et cru une bonne partie des « bobards » qu'il a écrit. C'était si bien présenté. David Roberts comme historien a été nullissime. Pour moi, il s'est fait piégé par son éditeur et ses alliés « complotistes », comme moi je l'ai été par son talent d'écrivain.

En tant qu'alpiniste français et membre honoraire de l'Alpine Club, je tiens à exprimer ma gratitude à ses membres de ne pas être tombés dans cette cabale française, folle et vénéneuse, et au tout premier d'entre eux, Henry Day, et ma honte d'avoir attendu le livre de Greiling pour revoir radicalement mon opinion sur Maurice.

Eric Vola, Mai 2023

Cliquer ici pour télécharger le fichier pdf Annapurna Anniversaries (Alpine Journal 2010/2011) d'Henry Day traduit par Eric Vola.

Cliquer ici accéder à la page Wikipedia® sur le sujet. Très complet.



Article proposé par Eric VOLA
Mis en ligne le dimanche 07 mai 2023 à 12:22:50

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