La Tribune du G.H.M.

Cotation des difficultés sur les hautes montagnes de la Terre par Henry Sigayret

COTATION DES DIFFICULTES

SUR LES HAUTES MONTAGNES DE LA TERRE :

Alaska, Andes, Himalayas, Hindou Kouch, Karakoram, Pamir, Tianshan, ...

REVE, REALITE, EVOLUTIONS

Montagnes aux cent visages. Montagnards aux cent visages. Pour nos anciens, au temps des exorcismes et de l'occultisme, la montagne était terre mystérieuse où vivaient des mauvais esprits, des démons, des revenants, des vouivres, Satan même. D'où les noms : aiguilles du Diable, col du Diable. Terre de spiritualité aussi : Le Doigt de Dieu à la Meije,... Dans les montagnes lointaines ces croyances perdurent, Schrindi Himal (Himalaya des revenants),... Annapurna Un habitat de Parvati épouse de Shiva ; col Amphu, l''Amphu la (Am, de Ama mère de Buddha, phu là haut) dans les Himalayas,...

Montagnes, terre de formation de surhommes pour le nietzschéen Lamer. Simples terres d'humanisme pour l''écrivain Ibsen :

Une heure d'ascension en montagne fait d'un gredin et d'un saint deux créatures à peu près semblables.

Terres d'école de patriotisme dans les années 14-18, la mort sous-jacente dans l'alpinisme, omniprésente dans la guerre :

Pour la Patrie par la montagne...

Minuscules et pauvres terres de vie pour l''agriculteur-éleveur. Un vieux guide-moniteur de ski de Venosc :

Inquiétudes de mes parents quand, les mauvaises années, les pommes de terre ne pouvaient être ramassées à temps.

Les réserves étaient calculées au plus juste. Montagnes, terres de ressources hier pour le cristallier et le chasseur de chamois. Aujourd'hui terres de rapport pour les habitants des stations de ski et d'alpinisme. Hautes montagnes enfin, terres inaccessibles, le sentiment d'inaccessibilité né de la difficulté qu'il y a à les gravir et non de leur dimension. Longtemps interdites aux hommes. Dans les Alpes, relevé dans Le roman de Chamonix, de Sophie Cuenot, éd. Guérin :

1741. Des Anglais viennent observer les glaciaires de Chamougny. Les habitants affirment que personne ne s'approche de ces zones pleines de dangers où l'homme n'a pas sa place.

La montagne, une terre pour romantiques : Dumas, Hugo, Lamartine, Vigny, d'autres encore, ont témoigné :

Monts sublimes... Les cathédrales de la terre... Pics et vallons noyés dans des brumes évanescentes... La montagne est à la plaine ce que la poésie est à la prose, ...

L'ALPINISME, LES ALPINISTES

Et un jour la montagne donne naissance à l'alpinisme, cette activité si facile et si difficile à décrire tant elle est riche de dissemblances. Une activité pratiquée dans un décor époustouflant de diversité et de beauté. L'alpinisme, ce sport de solitaires qui n'en est pas un mais qui pourtant en est un aussi. L'alpinisme, en réalité, un mélange de loisir et de sport dans lequel s'encastrent de l'irréel et des contemplations. Une activité, dont le rêve n'est pas absent et qui est riche, au moins dans ses premiers temps, d'actes d'une incomparable dangerosité acceptés avec enthousiasme. L'alpinisme un sport de passionnés.

Dans Jacques Balmat, de Jean Pierre Spilmont, éd Guérin :

« La volonté et la passion de Balmat avait eu raison de ses propres peurs, avivées sans doute par les terreurs ancestrales liées à ces lieux que l'on avait toujours tenus pour maudits... Nuit du Petit-Plateau il s'en souvient encore : jamais aucun homme de la vallée n'avait eu l'idée et le courage de dormir si haut... Il fallait une témérité peu commune pour réussir un tel exploit.

Quoiqu'il en soit, passé ses bégaiements des premiers âges, le nombre d'alpinistes va aller croissant. Et ces premiers alpinistes vont chanter une montagne terre idéalisée. Ils vont affirmer que ces terres sont hors de l'emprise de la cité où tout est codifié, où tout est contraintes, inélégant, banal. Ces alpinistes, individus anti grégaire, sont des hommes évidemment intrépides, courageux mais également des hommes respectueux d'autrui, fervents adepte de loyauté, de fair-play. Ils iront jusqu'à proclamer que ces terres sont interdites au code civil. Il ne peut y avoir faute, disent-ils, puisque les alpinistes sont fraternels et que les risques qu'ils prennent sont partagés par les membres d'une cordée. Les montagnes sont terres sacrées, l'alpiniste, un élu. Rébuffat :

On entre en alpinisme comme on rentre en religion.

DISCORDES, COMPETITION, ECHELLE DE COTATION
Ces montagnes sont-elles restées lieux sacrés ? Non, les mentalités citadines l'ont pénétrée. Elles sont devenues lieux communs. L'alpiniste est-il resté un être exceptionnel ? Non, il est devenu un simple sportif, téméraire certes, mais plus citadin que solitaire. Il a même introduit au regard des alpinistes romantiques l'affligeante compétition. Aujourd'hui on n'entre plus en alpinisme-religion, on ne s'infiltre plus dans des montagnes sanctuaires, on y pénètre comme dans un stade. Et sont allés dans ce microcosme les désaccords, les écoles.
Quid de l'escalade naturelle ? Preuss a prêché dans le vide. Quid du refus de l'acceptation de l'escalade artificielle ? L'ascension la plus hideuse de l'histoire, celle de Cesare Maestri au Cerro Torre. Lequel d'entre nous, aujourd'hui, n'a jamais planté un clou, coincé un coinceur ! Quid du rejet de l'utilisation de l'oxygène dans les Himalayas ? Et un jour, évolution logique, le mot compétition a été introduit. Des alpinistes romantiques se sont lamentés. Cette compétition n'était-elle pas entrave au rêve, à la poésie, à la montagne jardin secret ? De l'alpiniste Suisse Kurz :

Les Alpes ne sont plus le terrain d'élection de jadis. On assiste aujourd'hui non sans écoeurement aux dernières manifestations de ce que fut l'exploration alpine.

La compétition en alpinisme est. Opinion fortement affirmée par l'alpiniste talentueux Pierre Allain dans son livre Alpinisme et compétition, éd. Arthaud. Mais s'il y a compétition, il y a nécessité de départager les concurrents. S'introduit certes la notion de temps mais surtout la nécessité de préciser la difficulté des ascensions.

COTATION DES DIFFICULTES

Que de désaccords dans notre microcosme lorsqu'il a été question d'évaluer ces difficultés ! Et l'exaspération s'est accentuée lorsqu'en 1925, l'Autrichien Willo Welzenbach, propose une cotation de ces difficultés.

ECHELLE WELZENBACH

Cette échelle divise les degrés de difficulté en six. Elle comprend :

- une cotation générale de la course en six degrés : F facile / P.D. peu difficile / A.D. assez difficile / D. difficile / T.D. très difficile / E.D. extrêmement difficile. Degrés divisés eux même en inférieurs (inf.) et supérieurs (sup.).

- une cotation en six degrés pour la difficulté des passages rocheux ou mixtes. Notation également en six degrés : de I à VI, également divisées en inférieurs (inf.) et supérieurs (sup.).

- en neige ou glace, il suffisait d'indiquer l'inclinaison de la pente...

On peut ainsi lire dans le descriptif d'une course :

Face Nord directe du pic XX, course A.D. sup avec un passage de V inf.

Cette cotation était complétée par des indications générales sur le sommet, l'itinéraire, la nature du rocher, ... :

Rocher de qualité médiocre, course exposée à la chute de séracs,...

Faut-il aujourd'hui envisager cette cotation avec un regard critique ? Ballu dans Les alpinistes, éd. Arthaud :

Le réalisme désormais prime sur la fantaisie... le rationalisme a vaincu le lyrisme.

Oui. Qu'en pâtisse le romantisme et la poésie, la cotation a été une victoire du défini contre le vague et les exagérations. Elle a été la fin du flou, voire du mensonge, elle a été comme une fin du marchandage remplacé par le prix affiché.

L'acceptation de cette cotation a-t-elle entraîné la fin du lyrisme ? Non, des alpinistes se sont insurgés. Ils oubliaient que dans la période exploration la compétition existait déjà :

Polémique entre Balmat et le docteur Paccard : lequel est arrivé le premier au sommet du mont Blanc ?

Evolution : Messner grimpeur, himalayiste exceptionnel (et excellent commercial) a cru bon d'ouvrir vers le haut l'échelle des passages en escalade. Il a introduit le VIIème degré ! Mesure ridicule. Il était préférable de conserver l'échelle Welzenbach en précisant le nom de l'alpiniste qui avait côté et l'année de la cotation. Il est établi qu'un alpiniste moyen surcote, qu'un alpiniste de haut niveau sous-cote, et que l'évolution de l'alpinisme : entraînement de plus en plus intensif, qualité croissante du matériel,..., font qu'au fil des ans le niveau de difficulté des passages franchis augmente.

COTATIONS DANS LES TRES HAUTES MONTAGNES L'utilisation d'une cotation a systématiquement été refusée par les premiers ascensionnistes des montagnes de très hautes altitudes. Le nationalisme a imprégné la compétition qui a sévi lors des ascensions des sommets de plus de 8000 mètres. Les récits de ces premières ascensions résonnaient de superlatifs associés à de ridicules exagérations descriptives. Des pentes de neige à trente degrés devenaient des pentes très raides ! Devies dissertant sur l'ascension de l'Annapurna :

Les alpinistes français forcèrent une route glaciaire fort difficile.

L'itinéraire est certes plus difficile que celui des voies normales de Sagarmatha-Everest-Chomolungma et de presque tous les autres plus de 8000, mais il n'est qu'Assez Difficile (A.D.).

Sur la tour de Mustagh :

Le symbole de l'inaccessible.

Pour l'ascension du Makalu :

Les trois cents derniers mètres sont d'un ordre de difficulté qui n'avait jamais été surmonté à pareille altitude.

La pente terminale de ces 300 derneirs mètres fait-elle plus de quarante degrés ?

Si on lit le récit de l'ascension du Jannu-Kumbakarna, 7710 mètres, les qualificatifs se rapportant à la difficulté deviennent hyperboliques. Jean Franco, Lionel Terray :

Une ascension d'une difficulté jamais égalée...

Pour vaincre ce sommet il faudra deux expéditions composées de membres choisis dans l'élite de l'alpinisme français ! Quarante alpinistes et sherpas ont participé à ces expéditions dont les membres ont utilisé l'oxygène (!), ont été fixées des centaines de mètres de cordes fixes ! Pour franchir une crevasse, il a fallu construire un pont (!). Des sherpas sont allés couper deux arbres de la forêt ( sic ) et ont monté les troncs à l'altitude d'environ 6000 mètres, plusieurs jours de portage. Avec ma compagne, nous avons atteint en quelques jours l'altitude d'environ 7400 à 7500 mètres sans oxygène, sans sherpas, avec à peine cinquante mètres de cordes fixes et sans ... arbre. Nous ne sommes pas allés au sommet non à cause des difficultés mais parce que j'ai commis une erreur en voulant shunter le camp VI.

L'altitude élevée, l'éloignement, le dépaysement, la longueur des marches d'approche, la méconnaissance de la topographie, mais surtout la nécessité de déclarer que l'ascension était un formidable exploit, que les membres de ces expéditions étaient des surhommes inspirait ces exagérations.

Si ces ascensions avaient été cotées, les médias les auraient décrites avec précision. Tout son suraigu de trompette ne se serait pas fait entendre, tout triomphalisme, toute gloire attribuée aux membres aurait été refusé. L'ascension de Sagarmatha-Chomolugma-Everest (ou des autres plus de 8000 mètres), ne serait pas devenue le symbole de la difficulté. On n'aurait pas assisté à ce spectacle navrant, hélas trop souvent dramatique : nombre de Sherpas qui se tuent tous les ans en équipant ou en portant les charges de sahibs, en majorité médiocres ou faux alpinistes. Et que de tristesse, de honte de voir ces prétendants en file indienne, attendant plusieurs heures leur tour au pied de passages plus raides. Ascensions immorales enfin si on parle de leur coût ....

J'ai participé à la deuxième ascension française d'un grand sommet de l'Himalaya du Népal. Quel tapage médiatique au retour ! Or cette ascension ne méritera au mieux que deux ou trois lignes dans l'histoire de l'himalayisme. J'ai été un des membres des deux cordées qui ont ouvert un itinéraire E.D. au pic Chopicalqui dans les Andes du Pérou. Cette course, qui sera décrite dans l'histoire de l'andinisme n'a pas été signalée par les médias français.

Bref, tout cela plaide pour que les itinéraires dans les Himalayas et les hautes montagnes de la terre soient systématiquement affectés d'un descriptif précis et d'une cotation rigoureuse. Seront par exemple indiqués :

- les renseignements propres au sommet. Sa situation (le taux d'oxygène en altitude varierait suivant le massif), sa latitude, son altitude. La nature de l'ascension : rocheuse, glaciaire, mixte, son orientation ( les faces Nord dans les Andes d'Amérique du Sud correspondent à nos faces Sud ),... les caractéristiques particulières d'une ascension et celles sur la météo locale (Mousson,...).

- la difficulté générale de l'ascension en six degrés. De F, facile à E.D. extrêmement difficile.

- la raideur des pentes de neige ou de glace, la difficulté des passages rocheux...

Il existe une cotation UIAA. Pour l'historien Rodolphe Popier elle n'est, étant donné sa complexité :

Qu'un wagon de chiffres et de lettres.

Quel membre (ou groupe) du G.H.M., d'une Fédération, d'un club, quel journaliste, établira, contenant une cotation, un topo-guide lisible, utilisable par tous, des ascensions des sommets de l'Himalaya ?



Article proposé par Henri SIGAYRET
Mis en ligne le lundi 16 avril 2018 à 19:33:58

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