Les Dossiers du G.H.M.

Andrzej Mróz - (1942-1972) La montagne avant tout par Janusz Kurczab

 

Lieu: Pologne

Date: 2018-12-02

Confidentiel: Non


Objet :

Cet article est la traduction du texte du regretté Janusz Kurczab (1937-2015), épéiste (champion d'Europe, participation aux Jeux de Rome en 1960), alpiniste de haut niveau et le leader d'expéditions. Kurczab nous rappelle un de ses coéquipiers - Andrzej Mróz, membre du GHM, un des plus talentueux alpinistes européens des années 60-70. Ce texte est émouvant par sa sobriété. Voici un portrait d'une étoile montante de l'alpinisme des années 70, présenté par Janusz, l'inoubliable Kurczab.

Cet article est publié avec aimable autorisation de www.wspinanie.pl (cliquer ici pour lire l'article original)

Piotr Packowski


Note :

Andrzej Mroz naquit le 25 aout 1942 à Glogow dans la voïvodie de Rzeszów dans le sud-est de Pologne où il commença son éducation. Plus tard les Mroz déménagèrent à Cracovie. C'est dans l'ancienne capitale du pays qu'Andrzej passa son bac puis finit ses études supérieures à l'AGH (École des mines et de la métallurgie). En même temps, il s'inscrivit à l'Université Jagellon (fréquenté jadis par Nicolas Copernic) pour y étudier la sociologie. Mroz avait l'âme d'un humaniste, il s'épanouissait dans cette discipline. Il acheva ses études en 1968, étant déjà un alpiniste confirmé à cette époque. Il défendit sa thèse : « Section alpine du Club de Haute Montagne à Cracovie - un essai d'analyse sociale. »

Pendant ses années de fac, Andrzej s'adonna à une autre passion - il était chef littéraire, auteur et comédien au théâtre des étudiants « Salamandre. »

Andrzej commença l'escalade à la fin des années 50, comme tous les grimpeurs de Cracovie dans les rochers jurassiques des environs de la ville. Bientôt il visita les Hautes Tatras, éloignés d'une centaine de kilomètres de l'agglomération. J'ai connu Andrzej Mroz au refuge de Morskie Oko en septembre 1960, pendant sa première saison en montagne. Il avait déjà gravi plusieurs classiques comme la face Sud de Zamarla Turnia (paroi mythique des Tatras, NDT) et le pilier Nord-Est de Mieguszowiecki Szczyt. Notre première escalade commune fut la voie de Puskas sur la face Sud de Wolowa Turnia. Je n'en suis pas certain à 100 pour cent, mais je pense que c'était son premier itinéraire ED (extrêmement difficile).

Bien qu'on se soit vu très souvent, nous n'avons que rarement grimpé ensemble dans les Tatras. La dernière fois fut dans la voie Lapinski-Paszucha de la face Sud-Est de Szpiglasowy Wierch. A l'époque, Andrzej avait plusieurs compagnons, dont moi-même. Pendant l'été 1962, quand nous avons assiégé le grand pilier vierge de Kazalnica (La Chaire) après l'abandon de Lucjan Sadus, nous étions à la recherche d'un quatrième compagnon pour cette partie « de bridge ». L'ascension de ce pilier fut considérée comme un tournant d'alpinisme moderne polonais (NDT).

A ce moment-là, Andrzej Heinrich, alias Zyga, nous a prévenu que Gienek Chrobak et Andrzej Mroz étaient sur la route des Tatras. Nous avons décidé que le premier arrivé au refuge ferait partie de l'équipe. Chrobak avait de la chance. Mroz a pris sa revanche en faisant un mois plus tard la deuxième ascension, du pilier de la Chaire avec Ryszard Rodzinski.

Puis Andrzej se confronta avec les hivernales, tout de suite dans un style brillant pour un débutant, en répétant La Cheminée Swierz sur la face Est de Koscielec. Depuis il fut présent en permanence dans les Tatras, en été comme en hiver. Son choix : les voies dures, polonaises et slovaques, peu fréquentées et éloignées de la civilisation. Entre 1961 et 1965, Andrzej fut un des alpinistes polonais les plus actifs. Il effectua plusieurs premières répétitions des voies slovaques, de nombreuses premières hivernales ainsi que des premières ascensions. A cette époque, il grimpa souvent avec Gienek Chrobak, Andrzej Heinrich, Maciej Wlodek et Wojciech Wroz. Dans l'article original Kurczab énumère dans ce paragraphe des ascensions notables de Mroz dans les Tatras (NDT).

En 1965 Andrzej Mroz fut sélectionné pour un séjour dans le massif du Mont Blanc. Pour s'entrainer avant de longues courses alpines, Andrzej gravit en solo (6-10 juillet) une bonne partie de la Grande Traversée des Hautes Tatras. Son premier séjour à Chamonix fut prometteur :

- Mont Blanc, l'Arrête de l'Innominata, avec Andrzej Heinrich, 8-9.08.1965
- Petit Dru, face ouest, voie Magnone, deuxième ascension polonaise, avec Andrzej Heinrich, 11-13.08.1965
- Petites Jorasses face oust, voie Contamine, première ascension polonaise, avec Andrzej Heinrich et Janusz Kurczab, 20-21.08.1965

Dans les années 60 Andrzej se tourna vers les montagnes exotiques. En 1966 il fut qualifié sur l'expédition dans l'Hindou Kousch afghan, organisée par le Club Alpin de Cracovie, dirigée par Roman Sledziewski. Sur la route du Haut Hindou, Kousch Mroz gravit dans le massif d'Aghan six sommets de quatre mille mètres (avec Andrzej Heinrich et Jacek Poreba) entre autres Tachte Turkoman (4699 m).

Pendant le même voyage l'alpiniste polonais s'offrit en solitaire les huit sommets du massif Salang (entre 4400 et 4900 m). Pendant l'expédition proprement dite, Mroz atteignit tous les sommets du Noshaq (7492 m) avec Jean Bourgeois, Maciej Kozlowski, Jacek Poreba et Jerzy Potocki (quatrième ascension).

Sur la route de retour Mroz gravit (avec Ryszard Rodzinski, Lucjan Sadus et Jerzy Wala) le Damavand (5675 m), le plus haut sommet du massif iranien d'Elbrouz.

En été 1967 Andrzej partit pour la Turquie. Hormis l'ascension du Mont Ararat (5165 m), Mroz explora les montagnes Dzilo Dag. Il y effectua (avec Andrzej Kus) deux premières ascensions.

- Göl Dag (3460 m) pilier Nord-Est du sommet principal. (V), 24.08.1967
- Geliaszin (4170 m) face Ouest, Grande dièdre, (V+, A1), 28-29.08. 1967

Sur la route de retour de ce voyage autour de la Méditerranée Andrzej, le romantique solitaire fit une incursion en Afrique du nord. En Égypte il effectua une ascension nocturne de la pyramide de Khéops !

En 1966 Andrzej rencontra à Cracovie, dans un cabaret à la mode, sa future femme : Irène de Nervo. Les deux amoureux partirent pour la Turquie en attendant les compagnons de cordée d'Andrzej. Irène venait souvent en Pologne. En1968 elle obtint une bourse du ministère français des affaires étrangères et passa plusieurs mois en Pologne.

En été 1968 l'alpiniste polonais participa à une expédition au Spitzberg. Cette fois non pas pour grimper, mais pour des raisons économiques. Il ne pensait pas à l'émigration, mais il avait un pressentiment étrange qu'il ne retournerait pas en Pologne. Après les évènements de mars 1968 (mai 1968 polonais), l'ambiance en Pologne était devenue lourde. La police secrète polonaise observait de près les alpinistes. De plus, en août, les forces du pacte de Varsovie envahissèrent la Tchécoslovaquie De la Norvège, Andrzej arriva en France. Il participa au trafic d'ouvrages littéraires interdits en Pologne, édités par l'Institut « Kultura » à Maisons Lafitte dans la région parisienne. C'était la fameuse « affaire des Taterniks » (Taternik : alpiniste des Tatras en polonais). Selon ses amis, Andrzej a participé à cette affaire plutôt pour donner un coup de main aux amis, car la politique n'était pas son occupation préférée. L'alpiniste polonais fut prévenu que la contrebande avait été découverte par la police politique à la suite d'une dénonciation. Andrzej et Jacek Winkler furent contraints de rester en France. Certains participants de ce trafic furent condamnés en Pologne à des peines allant de 2 à 4 ans de prison ferme.

Durant l'hiver 1969, Mroz rejoignit ses amis dans les Dolomites qui arrivèrent en retard à cause des passeports si difficiles à obtenir. L'équipe, composée des grimpeurs de Cracovie et de Varsovie voulait s'attaquer à la première ascension de la fameuse voie Philip-Flamm sur la Punta Tissi de la Civetta. Pendant l'essai final, nous avons bivouaqué tous les deux, 200 mètres au-dessus du pied de la paroi. Le lendemain nous devions être rejoints par Marian Kata, Kazimierz Liszka et Jacek Poreba. Pendant la nuit la neige tomba abondamment. Nous avons abandonné.

L'hiver arrivait à sa fin. Alors pour rentrer avec quelque chose, nous avons suivi les conseils du Président de la section de CAI de Belluno, Piero Rossi, qui nous a encouragé de tenter la « Via Ivano-Dibona » dans la face Sud-Ouest de la Cima Scotoni, un itinéraire ouvert récemment en hiver par les membres de « Scoiattoli di Cortina. » (les écureuils de Cortina, NDT).

Nous avons attaqué cette voie en cordée de quatre. Deux membres de l'équipe étaient blessés. Nous avons fini la voie à deux. C'était la deuxième ascension, hélas réalisée après la fin de l'hiver selon le calendrier.

Durant l'été 1969 Andrzej Mróz cherchait des coéquipiers parmi les alpinistes polonais pour un projet d'envergure. Son choix fut excellent : Gienek Chrobak et Tadeusz Laukajtys. Entre 15-20 juillet le trio polonais ouvrit une nouvelle voie sur la face Est du Grand Pilier d'Angle. Cet itinéraire, principalement en artif, était exposé aux dangers objectifs. Il ne fut jamais répété.

En 1969 dans le carnet de courses d'Andrzej, de nouveaux noms apparaissent. Entre autres, Christine de Colombel avec laquelle Mroz effectua l'ascension en une journée de l'éperon Walker aux Grandes-Jorasses. Lors d'un entretien téléphonique en novembre 2018 avec Christine, celle-ci raconta : « Pour aller vite nous avons déployé notre corde double. Nous avons dépassé une cordée de guides italiens, un peu surpris par notre méthode. Cela nous a permis de tirer les longueurs de 60 mètres (NDT). Il grimpa aussi dans les Pyrénées avec une certaine Wanda Blaszkiewicz (son nom de jeune fille) connue plus tard comme Rutkiewicz.

En 1970 Andrzej Mroz trouva un travail fixe à Paris chez IBM. Dans une lettre à Andrzej Nowacki l'alpiniste polonais écrivit :

« C'est, à vrai dire, nouveau pour moi. Ha ! Au début ils me payent la formation. Selon eux une formation inutile. Ils comptent qu'un jour je vais leur rendre la monnaie de leur investissement. Dis-moi : peuvent-ils compter sur moi vraiment. »

Le 29 janvier 1971 Irène et Andrzej se marièrent. Christophe Mroz, leur fils naquit en juin. Cet événement a perturbé un peu les plans d'Andrzej. Pendant la saison 1970-1971, l'alpiniste polonais effectua (avec Patrick Cordier) la deuxième hivernale de la voie diagonale sur la face Est du Mont Blanc.

En février une forte équipe polonaise vint à Chamonix : Andrzej Dworak, Tadeusz Piotrowski, Andrzej Tarnawski et moi-même. Andrzej Mróz intègra notre équipe après l'accident de Tarnawski (blessé pendant une chute dans une crevasse, NDT).

Entre le 5 et 11 mars 1971 nous avons effectué la première hivernale de la Bonatti-Gobbi au Pilier d'Angle. La classe d'Andrzej, son expérience et la connaissance du terrain ont été primordiales dans le succès de cette entreprise. Pour nous tous, et pour Andrzej aussi, ce fut le plus grand succès alpin.

La saison estivale de 1971 fut, probablement, la plus riche dans la carrière d'Andrzej. Hormis les escapades d'un week-end dans le Vercors et dans les Bornes, il inaugura trois itinéraires nouveaux dans le massif du Mont Blanc :

- Aiguille Blanche de Peuterey, Pointe Gugliermina, face Sud-Ouest (VI, A2, 700 m) - avec David Belden, 11-13.07.1971
- Mont Gruetta, face Nord (VI, 800 m), avec Jean-Pierre Bougerol, 31.07-2.08.1971
- Mont Maudit, face Sud-Est (V+, 800 m), avec Jean-Pierre Bougerol, membre du GHM, décédé en 2005 (NDT).

Après la première hivernale de la Bonatti-Gobbi et ses succès de l'été 1971 Andrzej, rare pour un Polonais, intégra le Groupe de Haute Montagne.

Au printemps 1972, pendant mon travail sur le cinquième volume dont le titre est « Dans les rochers et glaces du monde », j'ai renoué de manière épistolaire avec Andrzej. Il avait un don extraordinaire pour l'écriture. En avril, après mon retour des Dolomites, j'ai reçu sa lettre :

« Je vais bien. Je comprends ta douleur et ta peine. C'est dommage que vous n'ayez pas réussi. Peut-être, l'année prochaine, nous ferons cette voie ensemble. À propos : Le Comité aux sports me boude toujours ? Sinon en ce qui concerne la première hivernale de Philipp-Flamm, je suis toujours partant. »

Le projet Philipp-Flamm fut réalisé mais Andrzej n'était plus. Tard dans l'après-midi, le 19 juillet 1972, Andrzej Mróz et Jean-Pierre Bougerol avaient atteint l'Aiguille Noire de Peuterey (voie : Vitali-Ratti). Il y avait du brouillard, la nuit tombait. Andrzej ne voulut pas bivouaquer, il était pressé de partir au Pérou sur le Huascaran. Les deux alpinistes, désencordés, entamèrent la descente par l'arrête Est, longue et compliquée. Ils se perdirent de vue. A un moment précis Jean-Pierre entendit le bruit d'une avalanche des pierres... Silence. Aucune trace d'Andrzej.

Le corps de l'alpiniste polonais, malgré de vaines recherches, ne fut jamais retrouvé. Notre ami a trouvé sa dernière demeure dans les méandres du glacier de la Brenva.

(Traduction : Piotr Packowski)

 

 



Dossier proposé par Piotr PACKOWSKI
Mis en ligne le dimanche 02 décembre 2018 à 00:27:37

Ces dossiers peuvent vous intéresser

  • Début
  • Précédent
  • Suivant
  • Fin