Maurice HERZOG

Année du décès: 2012
Profession : Ecrivain - Chef d'entreprise - Ministre
Nécrologie: Cette nécrologie a été rédigée à la demande du comité de rédaction de la revue CIMES.

Maurice Herzog, la déesse Parvati a perdu son héros (1919-2012)

C'est par un « twit » aussi bref que laconique que la nouvelle du décès de Maurice Herzog m'est arrivée. En trois mots simples, le héros vivant de l'épopée à l'Annapurna est devenu une légende à jamais gravée dans l'histoire de l'alpinisme.

J'avais croisé à quelques reprises Maurice Herzog, lors d'événements organisés par mes soins en tant que Président du G.H.M., « Momo » pour ceux qui tentaient une proximité gouailleuse à laquelle il n'adhérait pas. Car Maurice Herzog impressionnait : grand, svelte, élégant, avec sa fine moustache qui rayait son visage, il avait cette élégance distante qui inspire soit du respect, soit de la haine. C'était un aristocrate au sens premier du terme.

Avec son livre « Annapurna 1er 8000 » dont le tirage et le nombre de traductions dépassent l'entendement, il a relaté en mots simples cette aventure humaine exceptionnelle vécue sur l'une des montagnes les plus dangereuses du monde. Auréolé de son engagement de résistant, intellectuel, grand sportif et meneur d'hommes au combat, il était indubitablement « l'élu » pour mener à bien cette expédition audacieuse pour l'époque. Lucien Devies, celui qui, de Paris, a piloté tant de grands projets ne s'était pas trompé à son sujet, en le nommant à la tête d'une forte équipe dans laquelle on comptait les plus grands noms de l'époque, Louis Lachenal qui atteignit le sommet avec lui, Gaston Rébuffat, Lionel Terray mais aussi Jean Couzy.

Je ne reviendrai pas sur les détails de la polémique lancée en connaissance de cause. L'objectif était ouvertement de casser le mythe, de détruire une image certainement trop parfaite de cette expédition.

Je n'étais pas né lorsque les protagonistes avaient atteint le sommet, et à ce titre, commenter, c'est aussi colporter.

Qui croire ?

Les procureurs auto-désignés qui n'ont jamais été sur les lieux, ou cette étonnante cordée liant un chef de guerre incontesté à l'époque – mais pas nécessairement incontestable - et un des meilleurs guides de sa génération, mais qui ne s'était jamais engagé pour défendre son pays selon de nombreux récits. Force physique et force morale, voilà cet attelage social improbable, reflet d'une société brisée par la guerre qui avait la volonté de se retrouver pour témoigner combien la France avait encore des ressources, à condition qu'elles soient bien ordonnées. Et cette cordée n'a pas déçu !

J'ai envie d'écrire, laissez-nous rêver !

Ce furent des hommes, avec toutes leurs forces et leurs faiblesses – et Maurice Herzog de ce côté en avait certainement de nombreuses aux dires mêmes de ses proches - mais ce n'était pas un argument suffisant au point de vouloir salir à ce degré. Car au-delà des personnalités, il fallait également atteindre, et de manière bien plus sournoise, un système de pensées, avec d'autres personnages emblématiques en ligne d'horizon, notamment Lucien Devies qui contribua dans la discrétion à faire de la France une grande nation alpine de l'après-guerre.

C'est par un inattendu concours de circonstances que Robert Guinot, membre du Groupe aujourd'hui décédé, et moi-même, avons assisté de visu à la mise à feu de cette véritable conspiration. En quelques mots, la machine infernale était lancée, alors que rien ne le laissait présager. Ce fut un sentiment de profonde gêne qui nous a alors envahis, sachant que la réputation d'un homme était en jeu, voire son intégrité. Une forme de mise à mort... par un petit cercle d'hommes s'étant arrogés les pouvoirs arbitraires d'un pseudo tribunal révolutionnaire, sur fond de différent familial, qui est du strict ressort de la vie privée. Je ne me suis pas tu, et lorsque j'étais président, j'ai exprimé directement et à plusieurs reprises aux personnes concernées ma profonde indignation fasse à de tels agissements.

Finalement, on a voulu trancher la tête de la cordée, Maurice Herzog, dans une symbolique indienne à laquelle les auteurs de ce crime moral et leurs nombreux complices n'avaient probablement pas pensé. La cordée Herzog-Lachenal, c'est l'incarnation de Ganesha, le fils malheureux de Parvati, qui eut la tête coupée par Shiva son époux. En allant fouler avec élégance et audace le sanctuaire de Parvati, un 30 juin 1950, ils accédaient tous les deux au Panthéon indien, au milieu des divinités. Il fallait alors que l'intellect se retire pour qu'ils puissent tous deux contacter l'énergie divine, la fameuse shakti...

Chose est faite !

Et les hommes en bas dans la vallée pourront toujours gloser, Maurice Herzog est bien mort, mais la cordée qu'il formait avec Louis Lachenal vivra, elle, pour l'éternité.

Yves Peysson Ancien Président du G.H.M. Ancien Président du Comité Scientifique de la F.F.C.A.M.